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Mon ado ne va pas bien, comment l’aider ?

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mon adolescent ne va pas bien
  • Aider son adolescent en souffrance

  • Quels sont les signes qui montrent que mon adolescent ne va pas bien ?

L’adolescence est une période propice au mal être comme toute période de changement et de transition. Il faut bien différencier le mal être propre à l’adolescence d’un trouble dépressif qui nécessiterait une prise en charge spécialisée.

Le mythe de la crise d’adolescence est potentiellement porteur d’erreurs de diagnostics et de pronostics psychopathologiques (Claes, Weiner, 1995). Il peut nous amener à ne pas déceler des troubles psychiques graves.

Pour distinguer, le normal du pathologique à l’adolescence c’est extrêmement difficile. Il s’agira de prendre en compte plusieurs facteurs à la fois des évènements de vie, la personnalité et le milieu familial.

En réalité, les crises ne sont pas exclusives à l’adolescence mais la première reste la plus déterminante.

Grandir est forcément un acte agressif disait Winnicott. L’adolescent va s’affirmer en montrant sa valeur, en prenant des risques, en testant ses propres limites et en montrant de quoi il est capable. Surmonter une situation dangereuse c’est aussi une façon de prouver sa valeur et d’être reconnu.

Dans ce cas, ni l’agressivité ni l’opposition ne peuvent être retenus comme étant des troubles. Ils font partis du fonctionnement normal à l’adolescence.

Par exemple, il n’existe pas de lien direct entre consommation de cannabis et apparition de troubles psychotiques. En fait, la consommation va être un effet précipitant s’il existe un état de vulnérabilité psychologique déjà-là (Large et al, 2011).

Pour parler d’addiction, il faut aussi regrouper un ensemble de signes. Il faut alors faire attention à ne pas qualifier « d’addictif » tous les comportements répétitifs, excessifs, importants ou délétères chez l’ado.

En général, les signes sont visibles au niveau du corps, au niveau cognitif (c’est-à-dire dans la manière de penser, de raisonner, d’observer), au niveau émotionnel et comportemental. Cela dit, chaque signe sera interprété de manière différente en fonction du contexte.

Les troubles du sommeil

Par exemple, dans le cas de troubles du sommeil, là aussi il faut faire attention à l’interprétation.

Une adolescente dont la mère est décédée depuis deux ans avant la consultation dort deux heures par nuit malgré beaucoup d’activités en journée. Elle va dans la chambre de son père en lui disant « Je n’arrive pas à dormir ». Ce qui l’empêche de dormir, c’est qu’il faut qu’elle surveille ce que fait son père la nuit, qu’il est absolument hors de question pour elle que son père ait une liaison quelconque avec une autre femme que sa mère décédée. Lui permettre d’en prendre conscience lui a permis de se rendormir parfaitement normalement.

C’est donc un signe, qui pris dans son contexte, est moins alarmant que dans une autre situation. Si l’ado n’arrive pas à dormir parce qu’il a des angoisses terrifiantes et des terreurs nocturnes, ce n’est quand même pas la même chose…

 

  • Comment comprendre les prises de risques à l’adolescence ?

 

La prise de risque est plus présente à l’adolescence que durant les autres périodes de développement mais elle est inhérente à cette période.

Selon Steinberg (2008), il existe différentes régions du cerveau qui ne se développent pas à la même vitesse. Le développement du contrôle cognitif permet de s’orienter, de se projeter dans le futur, de résister à la pression du groupe et de contrôler ses impulsions. Il se développe plus lentement, plus graduellement que le système dit « socio émotionnel » responsable de l’addiction et des prises de risques.

Par conséquent, parler de perte de contrôle à l’adolescence si l’ado lui-même n’a pas encore développé la capacité neurobiologique pour réaliser, seul, ce contrôle devient un contresens.

Nous pouvons aussi comprendre que la seule présence des « copains », va activer le système de récompense « socio-émotionnel » responsable des comportements impulsifs. C’est moins le contrôle cognitif qui est à l’œuvre dans nos prises de décision que le système « socio-émotionnel ».

C’est pourquoi la prise de risque est particulièrement plaisante.

L’importance du milieu de vie

L’augmentation de la prise de risque à l’adolescence dépend plus du milieu de vie que de la personnalité. Si l’ado baigne dans un milieu où il existe de nombreuses occasions d’excitation émotionnelle, dans un milieu en présence de « potes » et des occasions de prise de risque dans l’environnement, son système socio-émotionnel sera d’autant plus activé. Sa difficulté à réguler les choses par lui-même (car son contrôle cognitif, ne l’oublions pas, est encore immature), sera encore plus importante.

Un des meilleurs facteurs protecteurs pour les conduites à risques c’est la qualité de relation avec les parents et être cohérent et constant dans son approche éducative.

Avec la perte de repères très forte aujourd’hui, les adolescents sont en recherche de cadre et peuvent d’ailleurs rencontrer d’autres cadres intentionnellement ou non. Par exemple sur internet ou travers des rencontres diverses même si ces derniers sont insatisfaisants sur certains plans (moral, éthique, politique etc.). Nous pensons évidement à l’engagement des jeunes dans des actes violents idéologiques comme le proposent les groupes terroristes.

Si l’adolescent a des difficultés pour se penser en termes de sujet unique, avec tout ce que cela comporte comme angoisse, il va donc avoir tendance à se conformer à un groupe auquel il va s’identifier. Souvent, si la qualité de relation est altérée, l’ado peut d’autant plus aller chercher une figure d’identification qui sera en opposition avec les valeurs propres à son contexte familial.

Aujourd’hui, nous sommes moins concernés par les carences affectives ou en termes de soins que par les carences symboliques ou la perte de sens. L’ado qui ne va pas bien ce n’est pas toujours celui qui est privé d’affection, d’attention ou de soins. C’est aussi celui qui n’a pas la possibilité de donner du sens à ce qui lui arrive. Pour cela, il a besoin d’un adulte suffisamment disponible et prêt à l’aider dans sa recherche de sens, sans pour autant lui donner une vérité à « plaquer » sur son propre vécu.

Par exemple, il s’agit d’éviter de dire « tu sais moi de mon temps… » ou encore « ça te passera tu verras ! ».

Il s’agit plutôt d’aller à la rencontre de son vécu et de ses propres questionnements.

 

 

  • Comment agir pour l’aider à aller mieux ?

 

Les périodes de changements sont propices à la vulnérabilité. A l’adolescence, la première vulnérabilité est émotionnelle. Aider l’ado à comprendre ses émotions est une étape éducative trop négligée dans notre société qui se réfère d’abord aux performances scolaires, aux relations sociales, à l’autonomie etc.

 

L’aider à exprimer ses émotions

 

Aider son ado à identifier, exprimer, comprendre et réguler ses émotions, semble important.

En effet, les émotions permettent de faire un lien entre dimension psychique et corporelle. La question à se poser est la suivante : Est-ce que mon ado a besoin d’aide pour faire le lien entre son ressenti émotionnel et son ressenti corporel ?

C’est crucial pour éviter d’être uniquement dans l’agir ! Ce qui permet de prendre une décision, ce sont plus nos émotions que notre réflexion, notre raison rationnelle. C’est pourquoi les adolescents ont besoin d’aide pour donner du sens à leurs émotions. En effet, les compétences émotionnelles vont permettre ensuite à l’adolescent de développer plus facilement ses compétences cognitives (Damasio, 1994). Les émotions peuvent être confondues. Les adolescents ne verbalisent pas beaucoup leurs émotions. Il est important qu’il puisse les verbaliser pour les reconnaitre en soi et ensuite chez les autres.

Est-ce qu’il s’agit de moi, de l’autre ? Est-ce que je crois que ça m’arrive à moi ? En distinguant les émotions, en les utilisant, en les différenciant de celles que l’autre éprouve, l’adolescent va pouvoir se socialiser d’autant plus facilement.

Il est certain que le parent, l’adulte de référence, joue un rôle déterminant dans ce contexte.

En effet, comment l’adolescent peut-il exprimer et comprendre ses émotions si l’adulte en face, lui, se cache derrière les siennes ? C’est ici que l’authenticité est primordiale. Les adultes aussi peuvent exprimer leurs émotions !

La difficulté c’est que l’adolescent a tendance à rejeter les demandes qui pourraient dévoiler sa vulnérabilité. D’autant plus si l’adulte ne montre jamais lui aussi sa propre vulnérabilité.

A ce niveau, c’est l’art d’être parent qui entre en jeu.

Les mots à éviter

Premièrement, éviter d’interpréter : mais non tu n’es pas triste ! ça va aller…

Ensuite, éviter de conseiller : moi à ton âge…

Eviter également de juger : Tu n’es pas beau/belle quand tu es triste…

Et éviter de questionner systématiquement : pourquoi tu pleures ?

 

Attention aux reproches et aux critiques qui sont souvent le résultat de la peur des parents.

 

  • Adopter une attitude d’écoute : signifier que vous êtes disponible (vous asseoir par exemple) et peut être que l’ado va parler par lui-même sans même que vous n’ayez prononcer un mot.
  • La présence silencieuse est aussi une posture qui remplace judicieusement les discours parfois trop « maladroits ». Vous pouvez jouer, regarder un film, observer un paysage, bref, partager un moment ensemble.

 

L’aider à penser par lui-même sans jugement

 

La pensée est aussi particulièrement en développement à l’adolescence, l’aider à donner du sens à ce qu’il lui arrive sans l’enfermer dans une vérité « dogmatique ». C’est-à-dire l’encourager à développer sa pensée critique et subjective. Son avis à de l’importance et lui permet de développer ses capacités de raisonnement. Même si les questions sont farfelues, aider-le, sans jugement, à aller jusqu’au bout de son raisonnement sans induire son discours. Le parent en adoptant volontairement une attitude naïve, permet à l’ado de prendre conscience des problématiques par lui-même.

 

  • A qui m’adresser si je n’y arrive pas seul ?

 

Faire appel à une tierce personne peut réactiver le conflit de l’ado qui oscille entre besoin d’autonomie et de dépendance. Si vous dites à l’adolescent que c’est lui le problème, il risque de se sentir dévalorisé et incompris. Le conseil que je peux donner, c’est de privilégier l’idée que le parent peut lui aussi montrer qu’il est vulnérable et qu’il a aussi besoin d’être soutenu.

Accepter d’accompagner l’adolescent chez un psychologue par exemple permet ainsi de montrer que ce n’est pas lui le problème mais que la situation mérite d’être éclairée par quelqu’un de neutre.

Si l’ado a besoin d’être accompagné séparément, vous pouvez consulter vous aussi un psychologue (un autre que celui de l’adolescent). Cela permet ainsi montrer que c’est une préconisation bénéfique et non pas stigmatisante.

Dans le cas d’addiction, un travail individuel (rdv individuel pour l’ado et pour le.s parent.s) et familial sera recommandé avec le même psychothérapeute.

 

La cohérence et la continuité des pratiques éducatives sont des éléments déterminants dans la manière d’aider l’adolescent à aller mieux.

Article rédigé par Jean-Marc MANZI, Psychologue.

Quarantaine…comment ré-organiser son temps de travail ?

Il ne vous a sans doute pas échappé ces derniers jours que plusieurs d’entre nous doivent maintenant rester à la maison, suivant les arrêtés gouvernementaux concernant l’épidémie de coronavirus covid-19. Tout laisse présager que de plus en plus de la population active devra adapter son organisation de travail dans les prochains jours et penser à rester confiné, souvent tout en travaillant et en assurant l’apprentissage pédagogique des enfants.

 

 

Mais alors, comment rester positif ? Comment s’organiser  dans toute cette effervescence ? Mylene, du service communication (en confinement, en télétravail avec deux enfants de 5 et 7 ans) vous explique comment elle a décidé de revoir son emploi du temps, en espérant que cela tienne !

 

 

1.Préparez un planning type de la semaine avec les enfants, en essayant de les inclure dans le processus : 

 

 Pour la première semaine, des horaires à respecter :

 8:45 : début des cours ( et du télétravail)

10:15 : pause-café / récré dehors si le temps et les installations  le permettent

10:45 : reprise des cours jusqu’à midi

12:00 : cantine !

13:00 : cours de sport… Pilates, yoga, zumba, gym en ligne, on bouge, on saute, on oxygène !

13:30 : reprise des cours ( et du boulot !)

15:15 : récré / pause café ( à l’extérieur si le temps et les installations le permettent)

15:45 : les enfants peuvent faire une heure d’activités libres, telles kaplas, puzzles, dessins, peinture…

16:45 : goûter !

17:00 : les enfants en âge d’être indépendants peuvent jouer, écouter la télé ( parce qu’il faut se le dire, en confinement, un dessin animé peut être très appréciable ) pour que les parents puissent boucler leurs dossiers !

 

Si vous n’arrivez pas à caser vos 7 heures de travail dans horaires classiques, n’oubliez pas que les temps de trajets que vous faites normalement pour aller sur votre lieu de travail sont maintenant des plages horaires utilisables pour travailler au besoin. Vous pouvez aussi récupérer en soirée, à votre rythme, entre 1 lessive, le rangement ou autre ! En fait, vous risquez d’avoir plus de temps qu’à l’habitude, de façon modulable, à condition que vos enfants soient en âge d’être un peu indépendants. (sinon, il y’a toujours les arrêts de travail prévus par la Sécurité Sociale afin d’aider les parents d’enfants en bas âge qui doivent rester à la maison avec ces derniers).

 

 2. Prenez du soleil si vous en avez l’occasion !

 Pendant les pauses, en buvant votre café, le midi ou en fin de journée : n’oubliez pas de vous exposer au soleil et à l’air frais !

 

3. Ne négligez pas le sport

 Pas de grandes révélations ici : préférez rester actif !

 

 4. Gardez le contact avec vos collègues :

Plusieurs outils de télétravail/communication sont à votre disposition pour garder le contact avec vos collègues : chez Geo-Psy, ( et sa maison-mère Pros-Consulte ) nous privilégions Slack, les groupes WhatsApp, et évidemment…les mails et le bon vieux téléphone ! PARLEZ ENTRE VOUS 🙂

 

5. ESSAYEZ de vous en tenir aux horaires préalablement définis ( voir point 1)

 Constance, persévérance, organisation.

 

6. N’oubliez pas de prendre soin de vous !

 Afin de garder le moral, la pêche et ainsi être productif dans vos tâches… prenez soin de vous ! Aérez-vous l’esprit, lisez, apprenez à faire du tricot, écoutez de la musique, faites un soin du visage pendant vos autres tâches… votre productivité au travail risque d’être décuplée si vous arrivez à diversifier vos activités et à ne pas sombrer dans l’obsession de l’optimisation de votre temps de travail avec la marmaille !

 

 7. Si vous êtes anxieux, stressé…PARLEZ !

À votre famille, vos amis, ou à un professionnel ( comme un médecin ou un psychologue.) Libérez le dialogue.

 

 

Et vous, quel est votre plan pour les prochaines semaines ? 

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LA PSYCHOLOGIE EN MILIEU CARCERAL

Photo Emilie Piouffre

Emilie PIOUFFRE

Psychologue clinicienne membre du réseau Geo-Psy

Geo-Psy : Emilie, toi qui a quasiment débutée ta carrière de psychologue clinicienne en milieu carcéral, peux-tu nous expliquer quel était ton rôle et les difficultés auxquelles tu as pu être confrontées.

Emilie Piouffre : Avant de répondre à cette première question, je me permets une digression dans le but de permettre au lecteur de savoir d’où je pars et comment j’en suis venue à travailler en milieu carcéral alors que j’étais toute jeune diplômée. Ce fut par choix. J’ai quitté le poste que j’occupais dans un hôpital de ma région natale et où résidait famille et ami(e)s pour exercer le travail de psychologue dans le cadre du parcours d’exécution des peines dans un établissement pénitentiaire situé à plus de 500kms de mon lieu de confort. 

Ma première rencontre avec l’univers carcéral fut dans le cadre de mon engagement au GENEPI (une association d’étudiants intervenant depuis 1976 en prison auprès des personnes détenues). Cette démarche peut être reliée à ma volonté assez naïve, celle d’une jeune femme de 21 ans, dénuée de tout doute de révolutionner le système carcéral ; de mieux l’appréhender, de mieux le comprendre. L’origine de cette implication fut celle de la rencontre avec la folie et de son emprisonnement lors d’un stage réalisé dans le cadre de mes études de psychologie. Jusque-là, la prison était pour moi une équation inconnue. Alors que je m’interrogeais sur la clinique, sur l’emprisonnement de ce patient diagnostiqué et traité pour une pathologie lourde, une autre étudiante partagea avec moi son expérience du GENEPI. C’est ainsi que je me suis présentée aux membres présents l’année suivante. J’ai été recrutée au GENEPI en 2007. Je suis restée deux années au sein du groupe local de Poitiers. Je suivais alors un DU de Sciences criminelles puis un Master Pratiques Cliniques, Psychopathologie parcours criminologie et victimologie à l’Université de Poitiers. Mon engagement au GENEPI pris fin suite à l’obtention de mon diplôme, par l’arrêt du statut étudiant. Cependant, je ne suis pas certaine qu’il faille parler de fin d’engagement, de fin de contrat. Ce fut plutôt pour moi l’ancrage dans des valeurs humanistes, de défense d’un idéal. Alors que je n’avais aucune conscience de ce que pouvait être le monde carcéral avant le GENEPI, un devoir de réflexion et de transmission est né ou a continué à m’animer. 

Cette pratique a marqué d’une empreinte indélébile ma vie professionnelle et du même coup ma vie personnelle. J’ai d’abord été stagiaire psychologue dans un SMPR (Service Médico-Psychologique Régional) puis j’ai exercé en tant que psychologue dans un centre pénitentiaire. J’ai ensuite obtenu un DU d’expertise judiciaire, psychiatrique et psychologique puis un Master de Philosophie et de Sciences du langage. Aujourd’hui je termine une thèse de psychologie ayant pour thème le mal-être et le suicide des personnels pénitentiaires pour laquelle j’ai obtenu une bourse de l’ENAP (Ecole Nationale de l’Administration Pénitentiaire). La poursuite du cheminement initié au GENEPI, m’a amené à remettre l’humain au centre qu’il soit une personne détenue ou un personnel pénitentiaire. Suite à l’expérience de psychologue dans le cadre du parcours d’exécution des peines centrée sur les personnes détenues c’est tout naturellement aujourd’hui que ma recherche doctorale s’achève avec le personnel pénitentiaire. Il s’agit pour moi en quelque sorte d’un cercle vertueux.

J’en reviens à la question initialement posée. Les fonctions et activités demandées en tant que psychologue intervenant dans le parcours d’exécution des peines étaient multiples : accompagner et/ou prendre en charge la personne placée sous-main de justice, participer aux commissions pluridisciplinaires, procéder à l’évaluation et au bilan de la personne, accompagner le personnel dans sa mission d’observation, échanger avec les différents partenaires, étudier les passages à l’acte, mettre en place et animer des sessions de formation, être le relais entre des personnels en situation exceptionnelle et les psychologues du personnel, rédiger des rapports de synthèse dans le respect strict de mon code de déontologie.

Il me faut donc maintenant dire quelques mots sur les difficultés qui ont pu être les miennes lors de cette expérience de travail. Clinicienne débutante, je me suis aventurée à exercer dans un centre pénitentiaire. Mon arrivée dans cette structure était empreinte d’une profonde envie d’humanité et d’une grande motivation. Ce poste, pour lequel j’ai été recrutée, était positionné sur une ouverture d’établissement à la périphérie de la ville. Cette mise en service a entrainé la fermeture de la maison d’arrêt, établissement insalubre, située au cœur de la cité. Après échange avec la direction, qui s’était investie de longs mois à l’ouverture de cet établissement, j’avais le sentiment que tout était possible et que nous pouvions faire de ce nouveau centre pénitentiaire, un modèle de réinsertion avec en son cœur l’humain.

Mon enthousiasme et ma croyance étaient en partie liés à ma connaissance, depuis cinq années, en tant que bénévole puis stagiaire psychologue, du milieu carcéral et des désespérances vécues. Très vite, je fus confrontée au mal-être des personnels pénitentiaires. Chaque jour, lorsque les personnes détenues étaient dans leurs cellules, des surveillants passaient la tête dans mon bureau ou me saluaient à travers la porte vitrée. Parfois, certains déposaient auprès de moi les maux de leur travail quotidien. Cela était possible car mon bureau était une salle d’audience directement située au cœur de la détention. En tant que professionnelle intégrée dans cet établissement pénitentiaire ma crainte fut d’incorporer des valeurs que pourtant je rejetais. Certains jours, avec effarement, je me rendais compte de la peur que l’indifférence me gagne moi aussi à mon tour, peu à peu, et que l’exceptionnel de la prison devienne mon ordinaire. Toujours le même surmenage, la même misère des personnes détenues, la même plainte du personnel.  De nombreux événements sont venus mettre à mal l’espoir avec lequel je suis entrée dans cette prison.

Geo-Psy : Est-ce que ton intervention s’étendait à la prise en charge du personnel pénitentiaire ? Auquel cas comment abordais-tu ces deux rôles ?

Emilie Piouffre : J’intervenais auprès des personnes détenues. Une prise en charge psychologique se fait également auprès du personnel par les psychologues du personnel. Ayant un bureau situé directement au cœur de la détention et travaillant à temps plein sur l’établissement contrairement à la psychologue du personnel, je pouvais être le relais entre elle et des personnels en situation exceptionnelle.

 On parle d’une profession qui se sent laisser pour compte, d’une prison qui connaît des problèmes récurrents, qu’on a bien de la peine à régler. C’est un métier que l’on connaît peu, que l’on ne voit pas car tous les personnels se trouvent dans l’ombre des établissements pénitentiaires. De plus, c’est rarement un travail que l’on exerce par vocation mais plutôt par volonté d’entrer dans la fonction publique.  

La personne qui intervient en milieu carcéral quel que soit sa profession a à réaliser un travail partagé, un travail d’humanité. Pourtant, souvent ce travail ne peut être effectué. Certains ressentent qu’ils sont empêchés d’exercer leur profession. Les surveillants dénoncent régulièrement la surpopulation, l’isolement, le manque de moyens, la vétusté.

Il est question de dignité pour les uns qui y travaillent et pour les autres qui y vivent pour un temps plus ou moins long. Ce qui apparaît commun est le destin quotidien, le sort journalier des détenus et des personnels. La condition des détenus est liée à la condition des personnels. Il faut faire progresser la condition des surveillants, accueillir leur vulnérabilité au sens ricœurien du terme. Ils ont besoin de dire, de témoigner, d’être écouté. Cela ressort de tous les établissements ou j’ai pu exercer ou mener ma recherche doctorale. L’écoute peut aider à clarifier la parole déposée. L’acte de parole se transforme en désir de compréhension pour le sujet. Le récit vient ainsi rendre compte du travail subjectif des personnels en souffrance.

La prison n’est plus un tabou mais elle est « un hors champ social » selon l’expression de Robert Badinter. Nous ne voulons plus voir les délinquants. Nous les mettons en prison. Mais, ils ne sont pas voués à y rester. Au moment, où une personne entre en prison, elle en ressortira plus ou moins tard, plus ou moins tôt mais elle en ressortira et on a le sentiment que comme ils sont derrière les murs, ils ne sont plus. Cependant, ils existent. Que va-t-il se passer lorsqu’ils seront à nouveau libres ?

Il faut prendre le soin d’un accompagnement, il diminue la récidive. C’est pourquoi, il faut permettre à nos personnels de prendre soin, d’accompagner…

L’humanisation du métier de surveillant dans son intérêt et dans celui du détenu passe par porter à part égale la mission d’insertion et la mission de sécurité et notamment à travers le partage d’activités à vocation humanitaire. Le surveillant devrait pouvoir être dans le savoir-faire, le savoir être et le faire avec le détenu. Ré humaniser le métier de surveillant afin qu’il ne soit pas là pour faire subir une peine à un détenu ; trouver un équilibre entre les deux missions principales qui lui incombent : sécurité et insertion.

Les personnels de terrain ont des propositions à faire, ils ont leurs expériences de terrain pour apporter des réponses aux conflits rencontrés actuellement.

Beaucoup de monde souffre dans ce monde carcéral, du surveillant au directeur, car le sujet n’est pas pris en compte. Ce questionnement institutionnel n’est pas propre à l’administration pénitentiaire. Il peut être posé pour n’importe quelle institution aujourd’hui (Cf. hôpital : suicide des infirmières, interchangeabilité des personnels, logique gestionnaire, etc.). La disparition de la dimension subjective est un vrai problème de société pas seulement dans l’administration pénitentiaire.

Dès lors que l’on croit en l’humain, que l’on met en commun, communique, échange, écoute, nous pouvons faire des choses formidables. Alors demandons-nous : quelle prison voulons-nous, quel hôpital, quelle école, quelle université, quel EHPAD afin que les personnes prises en charge (nous toutes) et les professionnels vivent et travaillent bien ensemble.

Geo-Psy : Selon toi est-ce plus « difficile » d’être UNE femme psychologue en milieu carcéral ?

Emilie Piouffre : Je ne pense  pas qu’il soit plus difficile d’être une femme en milieu carcéral. Nous sommes en grande majorité des femmes psychologues en milieu carcéral. Pour certains, le fait que les femmes interviennent en milieu carcéral peut adoucir voire pacifier les relations avec les personnes incarcérées. Je pense plutôt que cela dépend de l’homme ou de la femme qui intervient dans ce milieu. Il n’est pas facile d’intervenir dans un lieu contraint, ultra sécurisé mais nombreuses de ses difficultés peuvent être ressenties dans d’autres cadres de travail. « Quoi d’étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons ? » Michel Foucault, Surveiller et punir, 1975.

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